La « cuisine sous la bottine » est de circonstance pour le chenopodium album L. Cette plante pionnière estivale poussant dans toute l’Europe et presque sur tout le globe est l’un des meilleurs légumes sauvages qui soit. Feuilles, fleurs et graines ont de multiples utilisations culinaires et des vertus diététiques bien intéressantes.
Pauline de Voghel, diététicienne agréée. www.paulinedevoghel.be, info@paulinedevoghel.be
Enfants, nous nous faufilions dans les vastes colonies de farinelle envahissant jardins, terrains vagues ou décombres, champs, plages et bord de chemins. Nous la rencontrions surtout sur du fumier ou des amas de terre remuée et ameublie, en jachère… En fait, là où l’homme passe et s’installe, celle que l’on nomme également Ansérine en fait de même.
Elle a aussi été baptisée de la sorte parce qu’elle semble poudrée d‘une farine blanche en son sommet. Cette apparence caractéristique est due à de fins cristaux globuleux, se détachant facilement de la feuille au touché et donnant une sensation d’humidité grasse et granuleuse sur le doigt. Ce qui lui vaut ainsi ses autres surnoms de « Poule grasse » ou chez les Québécois, de « chou gras ».
Cette plante rudérale, dressée de 20 centimètres à 1,20 mètre voir 2 mètres, a une tige – teintée de rouge à l’aisselle des feuilles – très rameuse, anguleuse et striée dans la longueur de bandes alternativement blanchâtres et vertes. Ses feuilles alternes qui apparaissent dès avril jusqu’à septembre, sont polymorphes en prenant des airs de losange ou de lance, mais s’inspirant particulièrement des pattes de palmipède. D’où l’étymologie de son nom, en grec : « chên », oie et « podiion », patte. Elles sont glabres, sinuées de 3 à 6 cm sur les bords et plus ou moins aiguës au sommet. Toutes sont un peu charnues, d’un vert tendre grisâtre au stade juvénile, puis prennent une coloration bleue vert foncé à grise à maturité dessus et farineuse en-dessous. Les fleurs du chénopode situées à l’aisselle des feuilles au sommet apparaissent de juillet à octobre. Innombrables et très petites, apétales et verdâtres, elles sont réunies en inflorescences allongées, forment de petites grappes terminales, elles aussi farineuses.
Les fruits membraneux, présents de juin à octobre, renferment une graine sphérique, noire et luisante, d’un peu plus d’un millimètre de diamètre et à la durée germinative pouvant s’étendre jusqu’à 50 ans. On peut compter jusqu’à 50 000 graines par plante, ce qui justifie sa grande capacité à envahir les lieux où elle s’installe… et lui vaut le surnom de « folle » qu’elle porte dans le Jura.
Il y a des confusions possibles avec les onze autres espèces du genre en Belgique, dont le chénopode Bon-Henri (Chenopodium bonus-henricus L.), celui à feuille d’Obier (C. opulifolim) ou à feuilles de figuier (C. ficifobium) ou l’épinard-fraise (C. capitatum), etc. Le Chénopodium quinoa, bien connu depuis des siècles dans les Andes puisqu’il était l’une des principales céréales des Incas et est encore aujourd’hui la nourriture de base de certaines populations indiennes. Tous ces chénopodes sont comestibles, à l’exception du Thé du Mexique (C. ambrosioides L.) à l’odeur aromatique très prononcée, du Chénopode hybride (C. hybridum) et du Chénopode ambrosioides.
Il ressemble aussi à la comestible arroche étalée ou à feuilles hastées (Atriplex prostata). Prudence aux fâcheux risques de confusions avec le jeune datura stramoine, l’herbe du diable et avec la mercuriale annuelle.
En plus de favoriser le mûrissement d’abcès et de furoncles, d’être sédative et rafraîchissante (1, 5), cette plante a bien des atouts diététiques. Sa composition en nutriments est d’ailleurs systématiquement plus intéressante que celle de son équivalent moderne, l’épinard qui l’a pourtant littéralement détrôné au XVIe siècle (voir tableau comparatif ci-dessous).
Tableau 1 : Intérêts nutritionnels pour 100 g de chénopode blanc frais, entier (2, 13) vs 100 g d’épinard frais (12, 13)
Tout comme chez les épinards, les oxalates solubles des chénopodes se montrent irritants, surtout dans les feuilles plus âgées, après la floraison et si elles sont consommées en excès (3). Les cuire à deux eaux diminue la composition en acide oxalique, mais il faut rester prudents en cas de maladie rénale, hépatique, arthritique ou lithiasique.
Un autre fait intéressant : dans la plante crue, le fer et le calcium sont plus assimilables et elle contient ainsi moins d’oxalates de calcium irritants qu’une fois cuite (6). Les feuilles sont aussi riches en chlorophylle à extraire pour colorer les aliments.
Le chénopode passe à la casserole depuis la nuit des temps et jusqu’à l’autre bout du monde : ses graines ont été trouvées dans des restes de cuisine de sites archéologiques de l’époque néolithique. Il était aussi consommé par les Vikings, alors qu’en Inde où il s’appelle « Batoua », il est encore vendu tous les jours et presque toute l’année sur les marchés. C’est une véritable plante fourragère et alimentaire de longue tradition et salutaire en cas de famine.
Les feuilles crues et cuites ont une texture tendre, une saveur très délicate, légèrement astringente et acidulée, rappelant en plus fin et plus subtile celle de l’épinard, dont il est l’ancêtre. Ses jeunes pousses, feuilles et tiges charnues très jeunes sont d’excellentes bases de salade au printemps et en été. Lorsque la plante est adulte, seule son extrémité se laisse facilement cueillir. Elles sont également un excellent légume cuit, surtout lorsque les feuilles sont un peu plus matures. Cuites à la vapeur alors idéalement pour préserver le goût, puis assaisonnées d’huile d’olive, de citron et de poivre.
Elles peuvent être accommodées de la même manière que les épinards : à l’anglaise, en velouté, gratin, soufflé, soupes, potées, gougère farcie, omelette, tarte, pizza, pain, et . En Inde elles agrémentent des plats de curry, des soupes et du pain garni. En Europe on en fait de bonnes choucroutes et au Japon les feuilles sont conservées dans le sel.
Les inflorescences jeunes et tendres, présentes jusqu’à l’automne, peuvent être détachées des branches et se servent cuites. Elles peuvent être mélangées à une pâte à crêpe qui devient alors croustillante et à la saveur délicate d’épinard.
Les petites graines noires ont été consommées par nos ancêtres depuis plusieurs millénaires et rappellent le quinoa des Incas. Il faut juste préalablement les cuire à l’eau pour en éliminer les saponines, les rincer, puis les consommer en céréales, en gruau ou grillées. Les réduire en farine après séchage, à mélanger ou non à une autre farine, permet de confectionner des galettes, crêpes, pains, etc. On en saupoudre les soupes et les salades. Les Indiens d’Amérique du Nord préparaient du « pinole », sorte de bouillie de diverses graines, dont celles de plusieurs chénopodes, écrasés et cuits à l’eau.
Mi-cuit, mi-cru de chénopode : Cuire 300 grammes (g) de feuilles à la vapeur. Les mélanger dans un saladier à 200 g de jeunes pousses crues. Assaisonner d’une vinaigrette : 4 cuillères à soupe (c. à s.) d’huile de noix, 1 c. à s. de jus de citron, 1 cuillère à café (c. à c.) de moutarde à l’ancienne, 1 gousse d’ail écrasée et 2 c. à s. de graines de tournesol.
Soupe crue de désherbage : Mixer ensemble un concombre, deux branches de céleri, un oignon frais, 2 gousses d’ail, 4 bonnes poignées de jeune chénopode, deux tranches de pain, 2 c. à s. d’huile de colza, un filet de jus de citron, une pincée de sel et un aromate au choix : pimprenelle, ciboulette, basilic, menthe, etc. Servir avec 2 branches de céleri très finement hachées.
Crêpe de chénopode : Battre 3 œufs au fouet et incorporer 200 g de farine, puis 500 ml de lait. Laisser reposer la pâte 1 heure au réfrigérateur. Incorporer 400 g de feuilles de chénopode blanchies puis égouttées et hachées et si c’est la saison, 2 poignées d’inflorescences de chénopode hachées. Cuire des petites crêpes avec du beurre clarifié.
Sauce veloutée au brocoli et à la farinelle : Cuire à la vapeur 100 g de brocoli et le mixer avec 4 grosses poignées de chénopode blanc fondu à la vapeur, 100 g de tofu soyeux, 1 c. à c. de bouillon de légumes crus, 1 c. à c. de miso blanc, 4 c. à s. d’huile vierge 1re pression à froid, un filet de jus de citron et un petit oignon sué dans de l’huile d’olive.
Gratin de chénopode blanc au quinoa : Faire suer dans une casserole avec 1 c. à s. d’huile d’olive une échalote hachée et une racine de persil détaillée. Puis ajouter 200 g de quinoa rincé, 300 ml d’eau, 2 feuilles de laurier, 1 c. à s. de bouillon de légumes crus et poursuivre la cuisson 10 minutes à couvert. Éteindre le feu et toujours avec le couvercle, laisser gonfler encore 10 minutes. Dans un plat à gratin beurré, émietter 100 g de ricotta, ajouter la moitié du quinoa, puis la moitié de 300 g de chénopode fondu à la casserole et haché. Ensuite, recommencer l’opération avec 100 g de ricotta, le restant de quinoa puis le restant de chénopode. Répartir sur le gratin un mélange de 2 œufs battus, 100 ml de jus végétal et 50 g de beurre fondu, du sel aux herbes, de la noix de muscade et du poivre noir. Cuire avec un couvercle 20 minutes à 190°C puis encore 10 minutes sans le couvercle.
Boulettes végétariennes : mixer 150 g de pois chiches cuits. Ajouter 150 g de noisettes concassées, un œuf battu, 1 oignon finement haché sué dans 2 c. à s. d’huile d’olive avec 1 gousse d’ail pressée et 4 c. à s. d’eau. Bien mélanger, puis assaisonner de sel et de poivre. Laisser reposer au frais 30 minutes. Façonner des petites boulettes à la main ou entre 2 c. à soupe et les faire revenir à la poêle dans du beurre clarifié. Servir avec des carottes jeunes vapeur et de la compote d’airelles.
Mini-muffins au chénopode blanc et à la truite : Faire suer 1 oignon haché et 100 g de pomme de terre détaillée, dans 2 c. à s. d’huile d’olive. Mélanger dans un bol avec 4 œufs et 100 ml de jus végétal. Puis ajouter 100 g de farine et 4 g de de levure chimique (baking powder). Ajouter ensuite 300 g de chénopode fondu dans une casserole large avec un fond d’eau, à couvert puis égoutté et haché. Enfin, ajouter 100 g de filet de truite fumée en morceaux et 100 g de fromage Manouri écrasé. Portionner dans un moule à mini muffins et cuire 12 minutes à 180°C.
Bibliographie
(1) Couplan F., Styner E. Delachaux et Niestlé. « Guide des plantes sauvages comestibles et toxiques ». 2009
(2) Couplan F. Ed. Delachaux et niestlé. Les guides du naturaliste. « Guide nutritionnel des plantes sauvages et cultivées ». 2011
(3) Moutsie et Ducerf G. Editions de Terran. « Récolter les jeunes pousses des plantes sauvages comestibles ». 2013
(4) Claude Londres. « Cuisine les plantes sauvages ». Editions Dangles. 2010
(5) Couplan F. Soliflor. « La cuisine est dans le pré ». 2012
(6) Couplan F. Sang de la terre. « Cuisine sauvage, accommoder mille plantes oubliées ». 2010
(7) Bissegger M. Ulmer. « La cuisine des plantes sauvages ». 2012
(8) Anne Maehlum. Michel Lafon. « Eat nature, l’herbier gourmand ». 2016
(9) Veyrat M. et Couplan F. « Herbier Gourmand ». Hachette pratique. 1997
(10) Sulpice J. « Assiette sauvage ». Le cherche midi éditeur. 2015
(11) www.cuisine sauvage .be
(12) Asbl NUBEL. « Table belge de composition des aliments ». 5e édition. Mars 2012
(13) TFE (diététique) de Lucille Quataert. « Introduction de plantes sauvages comestibles locales et printanières dans l’alimentation. ». 2008-2009