Environ 14% de la population indienne est dénutrie (The World Bank Group, 2021). Cette dénutrition répartie dans l’ensemble du pays de façon hétérogène peut être expliquée par des déterminants climatiques et non climatiques. Ce second article s’intéresse aux causes liées aux éléments climatiques.
Noélie Dominicy, diététicienne-nutritionniste agréée
D’après les prévisions futures, la production mondiale d’aliments de base est susceptible d’être diminuée. Cette baisse sera due à la hausse des températures et à la variation des précipitations et aura un impact sur la prévalence de la malnutrition. La grandeur de ce changement climatique sur la santé n’est qu’approximative et causera, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), environ 250 000 décès supplémentaires entre 2030 et 2050 dont environ 95 000 décès attribués à la dénutrition infantile (OMS, 2018).
Sur plus d’un milliard d’Indiens, environ 700 millions habitent dans les zones rurales qui dépendent directement des secteurs sensibles au climat (agriculture, pêche, etc.) et des ressources naturelles (eau, biodiversité, prairies, etc.) pour leur alimentation (Amutha & Juliet, 2017). Une augmentation de 1 à 2°C aura un effet sur le rendement des cultures céréalières, impactant ainsi l’état nutritionnel de la population (Mahapatra et al., 2021). Étant donné que l’agriculture de l’Inde dépend principalement de la mousson, la perturbation des précipitations peut entrainer de mauvaises récoltes (Shaw et al., 2020).
Une augmentation de 1 à 2°C de la température a un impact négatif sur les cultures, notamment celle des produits céréaliers. Cette baisse de rendement induit, elle-même, un effet négatif sur les apports alimentaires et l’état nutritionnel de la population (Mahapatra et al., 2021). En effet, la production de denrées alimentaires de base, telles que le riz, les pommes de terre et le blé, est significativement associée à la réduction de la prévalence de malnutrition (Rabbi et al., 2021). De plus, en Inde, la principale source de protéines est issue des légumineuses et des céréales. Les protéines étant elles-mêmes un nutriment déterminant dans la prévalence de la malnutrition (Swaminathan et al., 2012).
En Inde, la température moyenne tend à la hausse (figure 1). Une augmentation d’environ 0,62°C par 100 ans est observée. Cette élévation est plus importante pour les températures maximales (0,99°C par 100 ans) que pour les températures minimales (0,24°C par 100 ans). Ce réchauffement est généralement observé lors de la saison post-mousson[1] et se produit de façon plus importante dans les régions du nord et du nord-ouest (Dhimal et al., 2021; The World Bank Group, 2021).
[1] Les saisons en Inde sont différentes, il y en a quatre aussi : l’hiver de décembre à février, l’été de mars à juin, la mousson de juin à septembre et la post-mousson d’octobre à novembre.
En Inde, les pluies sont saisonnières par nature, et donc l’agriculture est tributaire des conditions climatiques. Une diminution significative de pluie l’affecte donc directement. Lors de l’année 2015-2016, la sécheresse était plus sévère dans le nord et dans la péninsule du sud. L’humidité est quant à elle principalement localisée dans l’est et le nord-est (figure 2) (Shaw et al., 2020). Les chocs climatiques, tels que la sécheresse ou les inondations, ont un impact négatif sur la sécurité alimentaire. Cet impact est plus important chez les populations rurales (Brown et al., 2020).
D’une part, une augmentation de la sécheresse induit une augmentation de la prévalence de malnutrition (Amegbor et al., 2020; Hagos et al., 2014; Rabbi et al., 2021). Ceci s’explique par une diminution de la production, notamment céréalière, lors des périodes de sécheresse. Cette diminution est un prédicteur de malnutrition (Lieber et al., 2020). En effet, les ménages situés dans des régions faisant l’expérience d’une année plus sèche que la moyenne tendent à déclarer plus d’insécurité alimentaire que ceux qui expérimentent une année plus humide que la moyenne (Brown et al., 2020). En Inde, dans 92 districts, il y a une association entre une prévalence plus élevée de retard de croissance lorsque les valeurs de l’indice de condition de sécheresse échelonnée (SDCI) sont faibles, c’est-dire lorsqu’il y a une sécheresse (figure 3a). Cela indique qu’en cas de sécheresse agricole, il y a une déficience d’apports nutritionnels chez les enfants, les rendant plus susceptibles à un retard de croissance. De même, un SDCI plus faible est associé à une prévalence d’insuffisance pondérale plus élevée dans 72 districts (figure 3b). Cette même association se produit dans 36 districts pour l’émaciation (figure 3c) (Shaw et al., 2020). Récemment, l’Inde observe des périodes de sécheresse plus fréquentes. Il y a eu une augmentation de 27% entre la période allant de 1981 à 2011 par rapport à celle allant de 1951 à 1981 (The World Bank Group, 2021).
D’autre part, une quantité excessive de précipitation peut également perturber la production alimentaire, et de ce fait la production économique, rendant la population plus susceptible de malnutrition (Amegbor et al., 2020; Brown et al., 2020). En Inde, les inondations sont la plus grande source de pertes annuelles liées aux catastrophes (figure 4) dont le coût est estimé à 7 milliards de dollars (The World Bank Group, 2021). Pour cette raison les enfants vivant dans des ménages touchés par des inondations sont deux fois plus susceptibles de souffrir de malnutrition que ceux vivant dans des zones non inondées (Mahapatra et al., 2021). Entre 1950 et 2015, la fréquence des précipitations extrêmes quotidiennes avec des intensités de pluie dépassant 150 mm par jour a augmenté d’environ 75% dans le centre de l’Inde (The World Bank Group, 2021).
Les régions du pays ont des profils climatiques différents, ainsi que des degrés de vulnérabilité différents dû à une variation climatique (The World Bank Group, s. d.). Par conséquent, les terres agricoles des différents districts ont des degrés de vulnérabilité différents selon leur localisation (figure 5). Les enfants vivant dans ces districts plus vulnérables aux changements climatiques sont plus susceptibles de souffrir de malnutrition que ceux vivants dans les districts moins vulnérables à ces changements (Mahapatra et al., 2021).
En effet, les cartes (figure 6) suggèrent que les points chauds entre la malnutrition et le degré de vulnérabilité sont principalement regroupés dans la partie occidentale et centrale de l’Inde. Cependant, il y a également des points chauds dans l’est du pays pour le retard de croissance. 69 districts ayant une vulnérabilité élevée présentent des indicateurs de nutrition élevés concernant l’insuffisance pondérale, le retard de croissance, l’émaciation et l’anémie. De plus, l’ampleur de la différence entre un degré de vulnérabilité très élevé par rapport à un degré de vulnérabilité très faible est beaucoup plus importante pour des enfants victimes d’une malnutrition sévère (Mahapatra et al., 2021).
Entre 2030 et 2050 il y aura, selon l’OMS, environ 250 000 décès supplémentaires par an, au niveau mondial, directement liés aux changements climatiques. Ces derniers provoqueront également de la malnutrition. Les zones où les infrastructures de santé sont faibles seront moins équipées pour affronter et répondre à ces changements. C’est principalement le cas dans les pays à faibles et moyens revenus (OMS, 2018).
L’Inde est très exposée aux inondations. Étant donné que l’augmentation de la température semble augmenter les précipitations extrêmes, il devrait s’observer, dans le futur, des précipitations encore plus intenses, pouvant mener à des inondations. Ces phénomènes seront plus axés sur les États du Bihar, Uttar Pradesh et West Bengal. Il est estimé que la population affectée par ces inondations augmentera de l’ordre de 22 millions de personnes dans les années 2030 à 2040. De plus, le pays est également exposé à la sécheresse qui devrait s’accentuer, notamment dans le sud et l’est du pays. En ce qui concerne les températures, les moyennes devraient aussi augmenter de 1,1°C à 4,5°C d’ici la fin du siècle (figure 7). Alors que le pays fait déjà régulièrement l’expérience des températures maximales les plus élevées du monde. De ce fait, les problèmes de santé liés à la chaleur, tels que la malnutrition, devraient s’intensifier, la sécurité alimentaire de l’Inde étant fortement dépendante de la production céréalière. Un tiers des terres du pays est utilisé pour cette production. L’augmentation des évènements climatiques extrêmes aura donc un impact négatif sur la sécurité alimentaire en diminuant le rendement, ce qui aura un impact sur la situation économique, alors que le pays présente déjà une vulnérabilité sociale (The World Bank Group, 2021) et une augmentation du prix des aliments. Ceci baisserait la consommation d’aliments, et donc de calories, ce qui entrainera de fait un effet sur la dénutrition (Fanzo et al., 2018). Les personnes les plus touchées seront les agriculteurs marginaux, les communautés côtières, les familles à faibles revenus et les communautés forestières. L’impact sera également plus important chez les femmes et les groupes défavorisés. Dans les zones urbaines, la hausse des températures va également creuser les inégalités. Et les infrastructures seront confrontées à des pressions quant à la gestion des ressources en eau (The World Bank Group, 2021).
En outre, les changements climatiques affecteraient la qualité des aliments, en matière de diversité, de densité nutritionnelle et de sécurité. (Fanzo et al., 2018; Swaminathan et al., 2012; The World Bank Group, 2021). Les émissions de dioxyde de carbone sont en augmentation depuis 1960. En 58 ans, elles se sont multipliées par 20 (figure 8) (The World Bank Group, s. d.).
Le dioxyde de carbone réduit la qualité nutritionnelle des cultures, notamment celles des céréales et des légumineuses. Dans les cultures, les teneurs en protéines, fer et zinc sont diminuées suite à l’augmentation du dioxyde de carbone. Ceci impacte les carences en macro et micronutriments. D’autant plus que, rappelons-le, les légumineuses sont la principale source de protéines en Inde.
La malnutrition, déjà très présente en Inde, est favorisée par l’augmentation de la température, des sécheresses et des inondations, d’autant plus pour les habitants des zones vulnérables aux changements climatiques. Les États du Bihar, Chhattisgarh, Gujarat, Jharkhand, Karnataka, Madhya Pradesh, Rajasthan et Uttar Pradesh ont une exposition plus importante aux déterminants de la malnutrition.
Pour réduire la charge de la malnutrition, la mise en place de politiques à court et à long terme est primordiale. L’Inde étant vulnérable aux changements climatiques, et l’état nutritionnel de la population étroitement lié au rendement des cultures, adopter une politique visant à réduire l’impact négatif du changement climatique est crucial pour éviter l’augmentation de la malnutrition dans les années à venir.
Bibliographie
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