Le parcours initiatique de l’obésité ou de l’excès de poids chez un·e patient·e s’accompagne systématiquement d’une transformation intime, de la découverte de nouvelles valeurs et s’accompagne souvent de souffrance. Le critère de temps est nécessaire à l’initiation et à la maturation. Vous trouverez différents itinéraires pour accompagner votre patient·e dans ces quelques lignes non exhaustives.
Dorothée Demoiny, diététicienne agréée aux Cliniques Universitaires UCL Saint-Luc de Bruxelles et diététicienne indépendante
Les accompagnements diététiques dans la problématique du poids peuvent vite virer à la recherche du contrôle ou à l’inverse, à sortir de l’hyper-contrôle. Quand le système de régulation naturelle du poids, faisant référence à l’approche homéostatique, ne se raisonne plus, il fait appel à la réflexion mentale et il n’est alors plus connecté. C’est là qu’entre en ligne de compte, les différents itinéraires proposés.
Tout comme sur une carte au trésor, il existe plusieurs chemins possibles parmi ceux-ci :
1. L’alimentation intuitive ;
2. L’alimentation consciente ou pleine conscience ;
3. L’Education Thérapeutique du Patient ou ETP ;
4. L’approche du G.R.O.S. (Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids).
Il n’est plus à démontrer les conséquences néfastes des régimes restrictifs depuis le rapport de l’ANSES de 2010.
Chacune de ces approches sera présentée dans un article de l’ActuDiéta. Commençons aujourd’hui par détailler ce qu’est l’alimentation intuitive.
« Intuitive eating » est un concept créé par Evelyn Tribol dans son livre paru pour la première fois en 1995 en outre-Atlantique, mais qui a surtout été relayé au Canada. Écrivain à succès, diététicienne de formation et travaillant dans un cabinet de nutrition en Californie, elle a été la porte-parole nationale de l’American Dietetic Association pendant six ans. Elle a été rédactrice en chef du magazine « Shape » où sa chronique mensuelle « Recipe Makeovers Clovers » est parue pendant 11 ans. Elle est souvent sollicitée par les médias pour son expertise nutritionnelle et a réalisé des centaines d’interview. Conférencière à ses heures perdues, Evelyn Tribol est passionnée et a été surnommée « merveilleusement sage et drôle ». De nombreux magazines nationaux américains l’ont classée parmi les meilleurs nutritionnistes du pays. Elle doit également sa notoriété au tout premier marathon féminin de 1984 où elle s’est qualifiée pour les essais olympiques. Actuellement, âgée de 63 ans, elle pratique encore différents sports. Son livre « Intuitive Eating » remporte un franc succès et a été revu à plusieurs reprises. Evelyn en est actuellement à la cinquième édition de son ouvrage et une traduction française est disponible depuis mai 2021.
Pour appliquer l’alimentation intuitive à la diététique nous pouvons nous aider de Karine Gravel. En effet, après de nombreuses analyses, elle nous paraît la personne la plus adéquate pour aider à comprendre les principes de l’alimentation intuitive. Karine Gravel nutritionniste et docteur en nutrition au Québec a fait plusieurs recherches sur le sujet et en a répertorié plus de 125 sur Pubmed. Elle est chargée de cours au département de nutrition de l’université de Montréal, formatrice auprès des professionnels de la santé et notamment auteur de blog sur la nutrition et les comportements alimentaires. Elle a remporté plusieurs prix lors de concours sérieux. Membre de l’ordre des diététistes nutritionniste du Québec, des diététistes du Canada et du Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids (G.R.O.S.) de Paris, elle a écrit, en 2021, un livre intitulé « De la culture des diète à l’alimentation intuitive » dans lequel elle présente de manière très concrète l’alimentation intuitive.
Avant de démarrer dans l’alimentation intuitive, il est essentiel de comprendre le « paradigme traditionnel » opposé au « nouveau paradigme ».
C’est à partir de ce point que les 10 principes de l’alimentation intuitive peuvent s’appliquer.
Le but de cette approche est d’améliorer l’acte de vie. C’est une solution de rechange aux « diététiques amaigrissantes » (paradigme traditionnel) afin de réguler la faim et la satiété.
Voici quelques détails des différents principes interprétés et vulgarisés par Karen Gravel :
L’objectif de cette approche n’est pas de perdre du poids mais est d’améliorer sa relation avec son corps. Il s’agit de propositions pour faire le ménage et poser ensuite ses limites alimentaires.
Le second principe de cette approche nous propose et nous décrit une échelle de faim, d’équilibre énergétique et de quantité et la manière d’éviter le contrôle de la faim et ses extrêmes. Cette partie n’aborde malheureusement pas la restriction cognitive et son traitement mais cela pourrait être utile de l’intégrer.
La mise en évidence des aliments dits « interdits », ceux qu’on n’ose pas manger par peur de prendre du poids ou ceux qu’on estime mauvais, va permettre de travailler les pensées tout en ayant en tête la permission inconditionnelle de manger selon sa faim et son envie.
Nous devons arrêter de défier la police de la nourriture, catégoriser certains aliments et certaines pensées, notamment les pensées nuisibles qui proviennent de la culture des diètes qui sont parfois source de culpabilité. L’alimentation saine ne se limite pas à la valeur nutritive des aliments, mais à l’énergie, au plaisir, aux préférences personnelles, etc. Du point de vue clinique, il s’agit d’un discours « intérieur », de ce qu’on pense quand on mange, de ses préférences.
Découvrir la satisfaction, le plaisir de manger est un atout qui a été annihilé par cette culture de diète et qui a amené à négliger le plaisir et la satisfaction. L’objectif de ce principe est de visualiser l’aspect sensoriel : davantage de plaisir pour plus de satisfaction et pour manger selon ses besoins. Le plaisir alimentaire d’un point de vue physiologique, affectif et émotionnel, social et culturel, ou encore sensoriel et gustatif amène à un plaisir épicurien. Cela permettra de diversifier les sources de plaisir.
Ressentir la satiété et considérer la sensation de rassasiement est un inconditionnel pour pouvoir manger les aliments souhaités. Pour évaluer son niveau de rassasiement, il est nécessaire d’observer ses signaux corporels et faire une pause au milieu des repas.
Précision sur ce point quant au vocabulaire : la langue anglaise ne distingue pas la « satiété » du « rassasiement ». Il n’y a pas un seul terme, mais une expression qui permet d’expliquer son ressenti. Ce dernier pouvant être interprété d’une manière différente d’un individu à l’autre. C’est pour cette raison qu’il n’y a que peu de différence entre ces deux termes, ce qui peut porter à confusion.
L’utilisation de la nourriture de différentes façons en lien avec ses émotions, en les identifiant notamment pour se réconforter, se distraire, résoudre des problèmes, etc. mais aussi sous forme de distraction, d’anesthésie ou même de punition permet de repérer les déclencheurs émotionnels. Dans ce chapitre, la gestion de l’alimentation émotionnelle est abordée ainsi que la manière d’y répondre avec bienveillance. Une fois ces nouvelles manières de gérer les situations difficiles acquises, la nourriture peut continuer à être apaisante mais de manière constructive. La relation deviendra alors plus positive au fur et à mesure qu’elle ne sera plus vécue comme mécanisme d’adaptation. La relation deviendra plus agréable et sans danger. Pour ce principe, il est important d’apprendre à respecter son corps et d’apprécier ce qui y est ressenti.
Ce principe consiste en l’acceptation de soi et permet de distinguer le niveau énergétique optimal entre poids naturel, poids génétique ou encore poids actuel. La valeur est : « tous les corps méritent la dignité. » La définition du « meilleur poids » est un mode de vie sain dans lequel le patient aime son poids. C’est dans ce principe, qu’il est opportun d’aborder la problématique de l’obésité chez l’enfant et de l’intégrer grâce à des images corporelles afin d’induire un mode de vie sain par le biais de son corps.
Le mouvement joue un rôle important dans cette approche. Il vaut mieux choisir son activité physique en fonction de ses préférences plutôt qu’en fonction de ses besoins. Nous devons trouver les obstacles et les facteurs facilitants l’activité physique, l’intégrer ou l’augmenter progressivement. Tout en ressentant ces nombreux bienfaits et en respectant le corps, il faut l’intégrer dans son mode de vie. Déterminer son niveau de stress, d’anxiété, de sommeil par rapport à sa santé physique et mentale est indispensable, tout comme essayer de dissocier activité physique et perte de poids.
Honorer sa santé avec la nutrition bienveillante revient à ne pas s’opposer à manger sainement avec plaisir, à modérer sa satiété et son équilibre nutritionnel, à avoir une vision globale de son alimentation et ainsi à viser le progrès et non la perfection.
Lorsque tous ces points ont été mis en place, les études scientifiques – interprétées avec prudence – montrent les relations directes positives de l’alimentation intuitive par :
Les relations indirectes d’une alimentation intuitive sont :
L’intégration plus positive de l’image du corps, de la compassion envers soi-même et de la satisfaction de soi sont également des points positifs.
Les Américains étant plus inquiets pour leur santé et leur alimentation que les Français ou les Européens, l’objectif de cette première approche est de faire la paix avec la nutrition et de se diriger vers une santé authentique tout en mangeant sainement. Cette santé authentique est le lien entre le monde intérieur des connexions à soi et le monde extérieur des informations de santé.
En conclusion, il s’agit d’une approche positive de l’alimentation, aucun effet secondaire n’a été répertorié, le changement est durable. C’est une approche qui respecte les principes éthiques de bienveillance et de non-malfaisance en cessant la stigmatisation pondérale, en honorant la diversité corporelle et en considérant la santé globale.
Cette pratique montre cependant des limites :
Nous pouvons envisager d’y adjoindre une autre approche qui sera détaillée dans les autres articles.
Bibliographie
Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. (2021). Régimes amaigrissants : entretien. Retrieved from https://www.anses.fr/fr/content/r%C3%A9gimes-amaigrissants-entretien
Colin, J.-J., Karsenti, N. (2018). Le plaisir de manger moins avec la pleine conscience. Programme en 9 semaines – 19 exercices audio. Dunod.
Dessé, C. (2021). Création d’une consultation d’éducation diététique afin d’augmenter les connaissances diététiques du patient en parcours préopératoire de chirurgie bariatrique (Travail de fin d’études). Haute Ecole Léonard de Vinci, Woluwe.
Gaillard, S., Barthassat, V., Pataky, Z., Golay, A. (2011). Un nouveau programme d’éducation thérapeutique pour les patients obèses. Revue Médicale Suisse, 7, 695-699. Retrieved from https://www.revmed.ch/view/510050/4179717/RMS_288_695.pdf
Garcia, S. (2022). Alimentation intuitive et alimentation consciente : quelle différence ? Présenté dans le webinaire du GROS du 05 mai.
Gravel, K. (2021). De la Culture des diètes à l’alimentation intuitive : réflexions pour manger en paix et apprécier ses cuisses. KO éditions.
Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids. (2020, novembre). Congrès 2020 : Alimentation intuitive, peut-on éviter le piège du contrôle ?
Groupe de Travail «Évaluation des risques liés à la pratique de régimes à visée amaigrissante ». (2010). Évaluation des risques liés aux pratiques alimentaires d’amaigrissement. Rapport d’expertise collective. Anses. Retrieved from https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2009sa0099Ra.pdf
Groupe de Travail de l’O.M.S. (1998). Education Thérapeutique du Patient. Programmes de formation continue pour professionnels de soins dans le domaine de la prévention des maladies chroniques. Organisation Mondiale de la Santé.
Pauchet-Traversat, A.-F. (2007). Guide méthodologique. Structuration d’un programme d’éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques. Haute Autorité de santé.
Pétré, B., Ziegler, O., Guillaume, M. (2019). Éducation thérapeutique du patient obèse en Belgique : contributions du projet EDUDORA. Métabolisme. Vaisseaux, Cœur, Poumons, 24 (3), 20-24. Retrieved from https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/243537/1/EDUDORA%20revue%20VCP%202019%20FR.pdf
Ritz, P., Hanaire, H., Estrade, A. (2013). Classeur pédagogique d’un programme d’éducation thérapeutique de proximité pour les patients obèses (OBEPROX). Centre Intégré de l’Obésité Midi-Pyrénées.
Tribole, E. (2021). Intuitive Eating for Every Day: 365 Daily Practices & Inspirations to Rediscover the Pleasures of Eating. San Francisco : Chronicle Prism.
Tribole, E., Resch, E., Huber, H. (2020). Alimentation intuitive, une approche anti-régime révolutionnaire (4ème éd.). Blackstone Publishing.