La Haute Autorité de Santé (2010) définit le « trouble du comportement visant à contrôler son poids et altérant de façon significative la santé physique comme l’adaptation psychosociale, sans être secondaire à une affection médicale ou à un autre trouble psychiatrique ».
Que ce soit en Belgique, en France, en Suisse ou bien au Canada, les troubles des conduites alimentaires (TCA) font l’objet de programmes structurels afin d’accompagner le mieux possible les patients et leur permettre d’améliorer leur état de santé mental et physique.
Elodie De Jode, Diététicienne membre du comité de rédaction de l’Actu-Diéta.
Selon les résultats de l’enquête de santé (Sciensano, 2018), 7% des Belges souffrent d’un trouble des conduites alimentaires. Il touche tant les femmes que les hommes à tout âge.
Les TCA sont des troubles associés à divers facteurs de risque : facteurs neurobiologiques, socioculturels, familiaux, habitudes alimentaires, etc. La difficulté de gérer son stress, l’acceptation de ses émotions, l’idéal minceur, les réseaux sociaux, l’autonomie financière peuvent également participer à l’aggravation de ces troubles.
Les liens entre l’utilisation intensive des réseaux sociaux et l’apparition des TCA s’étudient de plus en plus. Après quelques recherches, « les réseaux sociaux participent à une représentation biaisée de la société, favorisant l’insatisfaction corporelle et les comportements restrictifs liés à l’alimentation ». Cependant, tel que mentionnés ci-dessus, ces troubles sont multifactoriels et l’impact des réseaux sociaux n’est qu’un facteur parmi d’autres.
Les problèmes de santé mentale font partie des soins les plus difficiles à prodiguer. Simplement par le fait que pour répondre précisément à la souffrance du patient il faut déjà qu’il soit conscient lui-même de la situation. Le patient ne voit pas toujours la nécessité de faire appel à un professionnel. Ce constat est directement lié aux symptômes associés aux TCA : l’une des premières phases du trouble est que le patient se sente « fort », « plus productif », « rien ne lui échappe », son estime de lui-même est à son maximum, il sent qu’il contrôle parfaitement sa vie. Certains auteurs parlent « d’euphorie du contrôle ou hypomanie » caractérisé par l’INICEA (Inicea est un acteur de l’hospitalisation privée en France) comme étant « un sentiment important de joie et de bien-être ou une irritabilité et une hyperactivité » où le patient a tendance à nier son état. Ce symptôme retarde la démarche de faire appel à un professionnel, aggrave les schémas obsessionnels et amplifie les effets néfastes sur la santé physique et mentale du patient.
En Suisse, des outils de dépistage des troubles des conduites alimentaires (par exemple : EAT) apparaissent sur internet en libre accès pour évaluer les sentiments, attitudes ou comportements liés à la prise alimentaire.
De par la difficulté à diagnostiquer ces troubles à temps, d’après l’étude du SPF SPSCAE (2010-2021), le nombre d’hospitalisations sous contrainte a augmenté en Belgique ces dernières années.
Ce constat participe aux nouvelles mesures mises en place par les instances de santé depuis ce 1e février 2024 : les patients de moins de 23 ans diagnostiqués avec un trouble des conduites alimentaires peuvent bénéficier d’un trajet de soins grâce à l’intervention de leur médecin. Précisément, il s’agit ici de situations d’anorexie mentale, d’hyperphagie boulimique et de boulimie. Cette nouvelle mesure favorise différentes dimensions des soins santé mentale à savoir l’accessibilité, l’adéquation, la qualité et la continuité des soins.
Dans le cadre du trajet de soins prévu par l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI), une collaboration entre l’équipe soignante de première ligne de l’hôpital et des équipes ambulatoires multidisciplinaires s’opère. Au moins un des prestataires de soins autour du patient est convié à la consultation avec le médecin (psychologue, diététicien, psychiatre, pédiatre).
Tout diététicien agréé et conventionné avec le réseau SMEA peut accompagner le patient et intervenir avec les autres professionnels de santé. Les consultations diététiques peuvent se faire individuellement ou collectivement, en présentiel (obligation pour les deux premières séances) ou à distance avec autorisation parentale au préalable si le patient est mineur.
D’après la Haute Autorité de Santé, l’éducation thérapeutique des patients atteints de troubles des conduites alimentaires (TCA) vise à accompagner les patients et les encourager à développer leur empowerment dans le cadre d’une maladie chronique.
L’intérêt d’intégrer l’éducation thérapeutique dans l’accompagnement diététique est de permettre au patient d’acquérir de nouvelles compétences nutritionnelles, prendre conscience de ses obsessions corporelles, anticiper les rechutes et éviter la restriction alimentaire. Cette approche est pluridisciplinaire.
Comment s’y prendre concrètement ? Il n’y a pas d’approche unique pour aborder cette thématique avec le patient.
Toutefois, travailler avec le patient en entretien motivationnel peut changer durablement un comportement positivement. Faire appel à la motivation intrinsèque du patient est un moyen puissant pour aborder ce trouble.
Les objectifs de cet accompagnement permettront d’aider le patient à reconnaitre les signes annonciateurs, prendre conscience de ses émotions, contrecarrer les situations stressantes.
Le modèle transthéorique de changement établi par Prochaska et DiClemente (1980) peut aider le diététicien à travailler sur les différentes phases que traverse le patient.
L’intérêt de ce modèle est de comprendre la progression du patient, de s’adapter aux phases qu’il vit et de prévenir les rechutes éventuelles (épisode d’hyperphagie par exemple).
Tout de même, cet outil doit d’être utilisé avec flexibilité car il n’intègre pas l’ensemble des processus de ce trouble, notamment : les émotions.
Je suis passionnée par le sport, j'en pratique depuis l'âge de 3 ans. J'ai pratiqué pas mal de sports différents. J’apprécie la photographie, je suis modèle photo débutante. On dit de moi que j’aime faire plaisir aux autres par de petites attentions. Je recherche la joie de vivre, la simplicité.
J'en souffre depuis l'été 2017, la première personne à qui j'en ai parlé était mon ancienne meilleure amie. Elle m'a dit tout de suite que ce n'était pas normal et que je devais en parler le plus vite possible à un adulte, un professionnel de santé. Elle m'a proposé d'en parler à mon médecin traitant de l'époque, j'ai refusé mais elle m'a menacé d'en parler elle-même, j’ai fini par accepter. Ne sachant pas comment aborder le sujet, je l’ai fait par écrit. Cette lettre je l'ai encore… Quand j'ai été la voir pour lui en parler je venais de fêter ma majorité. Après avoir lu la lettre elle m'a simplement prescrit des antidépresseurs… Il m’a fallu 7 mois avant de les prendre, la situation s’était aggravée, ma souffrance était de plus en plus intense. En 2018, j’ai voulu que toute la douleur s’arrête et j’ai pris tous les médicaments en une fois… J’ai été admise aux urgences et mes parents et les médecins m’ont hospitalisée sous contrainte. J’ai pu choisir l’hôpital dans lequel je voulais être hospitalisée. J’y suis restée 4 mois pour TCA et tentatives de suicide. Depuis, j’ai été hospitalisée entre 8 et 10 fois. La dernière en date est celle de décembre 2023 où l’on m’a mise une sonde naso-gastrique. Je me suis sentie abandonnée… J’étais terrifiée, pleine d’angoisse et de stress. J’en veux beaucoup aux docteurs… Je sais que j'ai une maladie mais paradoxalement pour moi je ne suis pas malade. J'ai voulu fuir, arracher ma sonde, jeter mes plateaux par terre, crier, mais je suis restée forte pour ma voisine de chambre, devenue amie aujourd’hui…
Des patients qui ont parfois la même pathologie, ça c'est le plus dur. Surtout l'anorexie. Car c'est une maladie compétitive malheureusement ... Je trouve qu’on ne nous prépare pas assez au retour à la maison. Nous sommes lâchés dans la nature parfois, encore avec des idées noires… A chaque début d'hospitalisation, un ou plusieurs patients voulant faire connaissance avec moi, se livraient à moi… alors que moi aussi je souffre. Certaines hospitalisations ont été plus toxiques que bénéfiques pour moi. C’est pour ça, qu’aujourd’hui, je ne veux plus jamais y aller… Le positif est que j'ai fait quelques belles petites rencontres avec lesquelles je suis toujours en contact aujourd’hui. En plus, j’ai pu rencontrer quelques bons soignants dont mes 2 psychologues actuels qui traitent mes troubles du comportement alimentaire. J’ai confiance en eux et ça me permet d’avance petit à petit… Pour ce qui est de la sonde, je ne l'ai pas accepté et je ne l'accepte toujours pas. Si les personnes proches autour de moi ne me disaient pas de la garder quand j'en ai marre, je l'aurais enlevé depuis bien longtemps. Aujourd’hui, je suis toujours en souffrance, je ne veux pas prendre de poids. Cette idée est toujours insupportable pour moi…
Ressources/Outils en libre accès à destination du diététicien (disponible sur le site de l’INAMI):
> Formation nécessaire du diététicien pour accompagner le patient : https://www.inami.fgov.be/SiteCollectionDocuments/annexe_convention_formation_dieteticien.pdf
> Template de portefolio : https://www.inami.fgov.be/SiteCollectionDocuments/annexe_convention_template_portfolio_dieteticien.pdf
> Convention pour le financement du trajet de soins troubles de l’alimentation : https://www.inami.fgov.be/SiteCollectionDocuments/convention_financement_trajet_soins_troubles_alimentation.pdf
> Trajets de soins pour les TCA : https://www.health.belgium.be/fr/news/trajets-de-soins-pour-les-jeunes-atteints-de-troubles-alimentaires
> Test dépistage TCA : http://medicalcul.free.fr/scoff.html ; http://psychologie-ge.ch/Test_Comportement_Alimentaire_EAT.html
Références :
https://www.belgiqueenbonnesante.be/fr/etat-de-sante/determinants-de-sante/alimentation
https://www.belgiqueenbonnesante.be/fr/hspa/domaines-de-soins-specifiques/soins-de-sante-mentale
https://www.sciensano.be/sites/default/files/summ_mh_fr_2018.pdf
https://dial.uclouvain.be/memoire/ucl/fr/object/thesis:15048/datastream/PDF_02/view