La fonction principale de l’intestin étant d’assurer l’assimilation des nutriments, les questions relatives à la nutrition peuvent être nombreuses pour les patients souffrant de MICI. En tant que diététicien, sur quelles informations pouvons-nous nous baser à l’heure actuelle, quel est notre rôle et celui de l’alimentation dans la prise en charge de ces pathologies complexes ?
Pauline Van Ouytsel, RD, MSc, diététicienne agréée et coordinatrice de recherche clinique, unité de recherche clinique –
service de gastroentérologie, H.U.B – Hôpital Erasme
Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), telles que la maladie de Crohn (MC) et la rectocolite ulcéro-hémorragique (RCUH) sont des maladies auto-immunes chroniques et évolutives. Elles sont responsables d’une inflammation de la muqueuse digestive qui peut être segmentaire (dans le cas de la MC) ou continue (dans le cas de la RCUH).
Les sources d’informations, et parfois malheureusement, de désinformations, fleurissent de toutes parts. Il n’est alors pas rare pour ces patients d’être confrontés à des messages contradictoires qui peuvent s’avérer déroutants ! Alors, en tant que diététicien, sur quelles informations pouvons-nous nous baser pour répondre à leurs questions ? Quel est notre rôle et celui de l’alimentation dans la prise en charge de ces pathologies complexes ?
Après une première version publiée en 2017, ensuite révisée en 2020, la société européenne de nutrition clinique et métabolisme (ESPEN) a récemment remis à jour et étendu ses recommandations en matière de nutrition clinique en cas de MICI. Cette dernière version de 2023 reprend pas moins de 71 recommandations afin de guider les professionnels dans leur pratique clinique. Celles-ci concernent la prévention primaire des MICI, les aspects généraux, les aspects chirurgicaux, la modulation du microbiote, et distingue les phases actives (poussée) et de rémissions spécifiques aux MICI(1).
En résumé, nous retiendrons qu’une alimentation riche en fruits, légumes et oméga 3, et pauvre en oméga 6, ainsi que l’allaitement maternel exercent un rôle protecteur en prévention primaire de ces pathologies. L’exclusion des aliments ultra-transformés et émulsifiants est recommandée car ils seraient associés à l’augmentation du risque de MICI.
A l’heure actuelle, il n’existe cependant aucun aliment « causal », ni « miracle » qui permette d’influencer l’évolution naturelle des MICI. La prise en charge diététique demeure toutefois recommandée pour tous ces patients, que la maladie soit en phase active ou non. Il est ainsi primordial de dépister la dénutrition de manière répétée, c’est-à-dire au diagnostic et lors du suivi, ainsi qu’avant toute chirurgie. L’infirmière coordinatrice doit être impliquée dans ce dépistage et les micronutriments doivent également être régulièrement vérifiés.
En cas de poussée inflammatoire, l’alimentation doit être adaptée aux symptômes, en recourant notamment temporairement à une alimentation pauvre en fibres (2) et/ou pauvre en lactose, à définir au cas par cas. En cas de dénutrition, si l’enrichissement de l’alimentation n’est pas suffisant, le recours à l’utilisation de compléments nutritionnels oraux (CNO), puis successivement à une nutrition entérale (NE) avec une solution polymérique standard est habituellement recommandée. La nutrition parentérale peut être utilisée ensuite, voire même préférée en cas de fistule proximale à haut débit. En cas de sténose, une alimentation pauvre en fibres avec texture adaptée doit être proposé.
De manière générale, une alimentation équilibrée selon la tolérance individuelle doit être la cible. Il n’existe pour l’instant pas d’intérêt à recommander l’utilisation de pro-/pré-biotiques chez les patients souffrant de MC.
Le CDED cible le microbiote intestinal et repose sur l’exclusion des composants du régime alimentaire occidental qui peuvent influencer la pathogenèse de la maladie tels que les aliments à haute teneur en graisses, contenant trop peu de fibres, des maltodextrines, carraghénanes, ou encore des émulsifiants. Ainsi, ce régime d’exclusion vise l’élimination de certains substrats (additifs, alcool, etc.) et l’ajout d’autres substrats (fibres solubles), tout en visant une alimentation équilibrée.
Les premières études ont montré que le CDED favorisait la rémission chez environ 70% des patients, avec dans certains cas une guérison muqueuse (= rémission endoscopique). Actuellement, seuls 2 essais cliniques ont évalué ce régime chez l’adulte. Les conclusions préliminaires permettent ainsi d’énoncer que le CDED peut être envisagé avec ou sans nutrition entérale, pour induire et maintenir la rémission chez l’adulte atteint de maladie de Crohn légère à modérée (1) (3) (4).
Ainsi, l’alimentation jouant un rôle capital sur l’état de santé des patients atteints de MICI, le diététicien aura pour mission d’assurer le maintien d’un bon état nutritionnel à chaque étape du parcours de vie de ces patients, tant lors de la phase active, que lors des périodes de rémission. Le rôle du diététicien est ainsi de prendre en charge les problématiques nutritionnelles telles que la dénutrition et le surpoids.
D’autre part, la qualité de vie des patients réside aussi dans la gestion de leurs symptômes. L’alimentation saine et variée sera adaptée aux besoins spécifiques ; c’est-à-dire que la tolérance digestive doit être respectée tout en prenant soin de limiter les exclusions alimentaires abusives et parfois injustifiées. Dès lors, il sera de la responsabilité du diététicien de les guider et de les conseiller adéquatement concernant les adaptations alimentaires possibles.
Enfin, le rôle du diététicien est aussi, et surtout, de veiller à l’équilibre alimentaire afin d’accompagner ces patients chroniques et de leur permettre de maintenir ou de restaurer une qualité de vie optimale au long cours.
En conclusion, les recommandations de l’ESPEN 2023 nous rappellent que la prise en charge diététique est essentielle pour tout patient souffrant de MICI, que la maladie soit en phase active ou quiescente. Le diététicien fait partie intégrante de l’équipe multidisciplinaire. Sa fonction est de guider les patients pour prévenir et traiter la dénutrition/carences, suivre leur état nutritionnel, et les aider à adapter leur alimentation à leur maladie.
Références :
1/ Bischoff, S. C., Bager, P., Escher, J., Forbes, A., Hébuterne, X., Hvas, C. L., Joly, F., Klek, S., Krznaric, Z., Ockenga, J., Schneider, S., Shamir, R., Stardelova, K., Bender, D. V., Wierdsma, N., & Weimann, A. (2023). ESPEN guideline on Clinical Nutrition in inflammatory bowel disease. Clinical nutrition (Edinburgh, Scotland), 42(3), 352–379. https://doi.org/10.1016/j.clnu.2022.12.004
2/ WGO Practice Guideline: Maladies inflammatoires chroniques intestinales une approche globale, Mise à jour août 2015
3/Szczubełek, M., Pomorska, K., Korólczyk-Kowalczyk, M., Lewandowski, K., Kaniewska, M., & Rydzewska, G. (2021). Effectiveness of Crohn’s Disease Exclusion Diet for Induction of Remission in Crohn’s Disease Adult Patients. Nutrients, 13(11), 4112. https://doi.org/10.3390/nu13114112
4/Yanai H, Levine A, Hirsch A, Boneh RS, Kopylov U, Eran HB, Cohen NA, Ron Y, Goren I, Leibovitzh H, Wardi J, Zittan E, Ziv-Baran T, Abramas L, Fliss-Isakov N, Raykhel B, Gik TP, Dotan I, Maharshak N. The Crohn’s disease exclusion diet for induction and maintenance of remission in adults with mild-to-moderate Crohn’s disease (CDED-AD): an open-label, pilot, randomised trial. Lancet Gastroenterol Hepatol. 2022 Jan;7(1):49-59. doi: 10.1016/S2468-1253(21)00299-5. Epub 2021 Nov 2. PMID: 34739863.