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19e Journée d’étude | 29/09/2023 | Santé mentale : quelle place pour le diététicien ?

Psychiatrie et Santé Mentale entre hier et aujourd’hui !

L’auteur s’est penché sur l’évolution des soins en psychiatrie et en santé mentale. La prévalence des maladies mentales et les changements nosographiques seront évoqués à partir de psychopathologies rencontrées à l’adolescence. 

Marie Delhaye, MD, PhD, Pédopsychiatre, Université Libre de Bruxelles
Co-Présidente du Groupe de Travail Troubles des conduites alimentaires, COMSMEA

Quelques définitions et affirmations

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2001), la santé mentale se définit comme « un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté ». Les problèmes de santé mentale constituent une charge pour la personne qui en souffre, pour son entourage et pour la société 1.

« Il n’y a pas de santé sans santé mentale » Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général Organisation mondiale de la Santé, 2022

En 2013, l’OMS lance un plan d’action 2013-2030 pour la santé mentale 1.

De la psychiatrie à la santé mentale

En Belgique, si on fait un petit retour en arrière, les patients psychiatriques étaient isolés dans des institutions de soins gérées par des ordres religieux. À partir de 1970, les hôpitaux généraux ont commencé à accueillir des services psychiatriques et les services de santé mentale se sont développés. Rapidement, les problèmes de santé mentale augmentent et les institutions sont saturées. Les soins ambulatoires se développent 2.

A partir de 1990, environ 6000 lits psychiatriques ont été convertis pour créer des habitations protégées afin que les patients psychiatriques puissent vivre en dehors de l’hôpital. Les plateformes de concertation en santé mentale coordonnent au niveau régional les différentes structures 3. Une nouvelle réforme (Arrêté Royal 10 juillet 1990 qui fixe les conditions légales d’agrément des institutions psychiatriques) vise à créer une structure horizontale avec des groupes cibles spécifiques (enfants, adolescents, adultes, personnes âgées, personnes ayant une dépendance aux drogues et/ou à l’alcool, personnes en psychiatrie médicolégale et personnes handicapées ayant des problèmes psychiatriques graves). Cette réforme devait favoriser et améliorer les soins extra-hospitaliers pour augmenter la capacité disponible pour les patients chroniques. 3 400 lits psychiatriques ont ainsi été convertis.

En 2010, les « projets 107 » accentuent la « dé-psychiatrisation ». Le financement de ces projets, tous secteurs confondus (santé mentale, handicaps, personnes âgées), est issu d’un gel de nombre de lits des hôpitaux psychiatriques. Ces projets sous forme de réseaux couvrent toute la Belgique. Les différentes évaluations de cette réforme ont montré des résultats relatifs significatifs 4. La maladie mentale est remplacée par la santé mentale. 

Parallèlement, en 2015, la ministre fédérale de la Santé, Maggy De Block, lance la nouvelle politique de soins en santé mentale pour les enfants et les adolescents. Des réseaux se mettent en place dans chaque province et vont tenter de coordonner tous les soins en santé mentale, de la première à la troisième ligne avec plus de mobilité pour atteindre tous les patients fragilisés même ceux qui ont des difficultés à se rendre à une consultation 8. En Wallonie, l’« Agence wallonne de la santé, de la protection sociale, du handicap et des familles » ou « Agence pour une Vie de Qualité (AVIQ) » est notamment compétente en matière de soins de santé mentale. Un des objectifs de l’AVIQ, publié en 2019 dans son plan d’action, est de faire baisser la prévalence des assuétudes et du suicide. L’AVIQ s’intéresse aussi aux différents trajets de soins 7

Fin 2020, le Ministre Frank Vandenbroucke, devant le pic de patients qui présentaient un problème de santé mentale, a réagi. Il a demandé la formation de groupes de travail autour de thèmes spécifiques tels que la périnatalité, les urgences, les troubles des conduites alimentaires, etc. Dans chaque province, du personnel supplémentaire a été subsidié pour chacun de ces thèmes, excepté celui des troubles des conduites alimentaires pour lequel les travaux croisés de l’Institut National d’Assurance Maladie Invalidité (INAMI) et du Service Public Fédéral Santé Publique (SPF SP) vont se terminer fin décembre 2023. Le travail en équipe pluridisciplinaire sera valorisé avec psychologue, médecin, diététicien. Les diététiciens spécialisés vont disposer d’une nomenclature spécifique et vont enfin avoir une place reconnue 5

Et aujourd’hui ?

Les recteurs des universités francophones sont inquiets de la santé mentale des étudiants : “Nos services sociaux débordent !, peut-on lire dans la presse (Brutélé, La Libre Belgique, Septembre 2023) 6. La vague de souffrance mentale des adolescents et jeunes adultes est largement supérieure à ce qui était attendu. Cette souffrance est devenue un problème de santé publique. Au niveau académique francophone, les dirigeants des hôpitaux doivent mieux prendre conscience de cette problématique sociale car les services de psychiatrie et pédopsychiatrie sont trop souvent maintenus dans une dynamique de survie et les innovations sont malheureusement peu valorisées. L’externalisation maximale des soins est certes très positive mais amène inévitablement un vide structurel pour les patients malades mentaux qui ont besoin de soins plus intensifs. 

Prévalence des problèmes de santé mentale en Belgique

L’Enquête de santé belge de Sciensano (2013) relève une prévalence élevée des problèmes de santé mentale en Belgique. Une personne sur trois (de 15 ans et plus) avait déclaré souffrir de problèmes psychiques et 18% présentaient un risque réel d’affection psychique. De façon plus spécifique, environ 10% présentaient des troubles anxieux, 15% des signes de dépression, 30% des troubles du sommeil, plus de 8% des troubles de l’alimentation et plus de 10% une consommation problématique d’alcool. De plus, 5% des personnes indiquaient qu’elles avaient envisagé le suicide au cours des 12 derniers mois 9.

Le rapport de l’OMS en juin 2022, relève qu’une personne sur huit à travers le monde, présente un trouble mental soit 970 millions de personnes. Les troubles anxieux et les troubles dépressifs sont les plus représentés 10. En 2020, du fait de la pandémie de COVID-19, les premières estimations indiquent une hausse de 26% et28 %, respectivement, pour les troubles anxieux et les troubles dépressifs majeurs en l’espace d’une année seulement 11. En 2019, 301 millions de personnes présentaient un trouble anxieux, parmi lesquels 58 millions d’enfants et d’adolescents et, 280 millions de personnes présentaient une dépression, parmi lesquels 23 millions étaient des enfants et des adolescents. Quelques 14 millions de personnes présentaient un trouble de l’alimentation, dont presque 3 millions étaient des enfants et des adolescents 10.

16,3% des jeunes âgés de 10 à 19 ans en Belgique présentent un trouble psychique selon une étude de l’UNICEF parue en 2022 (UNICEF Annual Report 2022 : for every child, every opportunity). En février 2023, près d’un jeune sur six (18-29 ans) a déclaré avoir sérieusement envisagé le suicide au cours des 12 derniers mois 12.

Il y a deux ans, en pleine période Covid et de ses confinements successifs, une étude avait démontré que 50% des étudiants présentaient des symptômes d’anxiété et 55% des signes de dépression. Aujourd’hui, la souffrance mentale des étudiants a continué à évoluer de manière exponentielle 6.

Evolution de la nosographie psychiatrique

Depuis la seconde guerre mondiale, l’Association Américaine de Psychiatrie a commencé un travail de classification des troubles mentaux. Ce travail a donné naissance au Manuel Diagnostique et statistique des troubles mentaux ou DSM (Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders) en 1952. La dernière version traduite en français, le DSM-5, est parue en 2015. Cette version a été très controversée, car de nouveaux diagnostics sont apparus avec une tendance à « psychiatriser » des réactions émotionnelles jusque-là considérées comme normales. Par exemple, éprouver de la tristesse après le décès d’un proche. 

D’autres approches sont apparues depuis quelques années amenées par des chercheurs en psychologie tels que Avshalom Caspi 13. Leurs recherches amènent une réflexion en termes de dimension plutôt qu’en terme de catégories. On parle de facteur p ou « general psychopathology factor ». Ce facteur p permet d’orienter la thérapie par exemple de la dépression chez les adolescents. Cette approche est intéressante à l’adolescence car elle permet de ne pas enfermer le patient dans une catégorie qui risquerait de le coincer dans une pathologie mentale chronique alors qu’il est en plein développement. En effet, cette théorie semble refléter l’influence des aspects développementaux sur la psychopathologie. Le facteur p a été décrit comme un indicateur des processus transdiagnostiques, tels que la régulation des émotions, les affects négatifs et les pensées inadéquates. Par exemple, un facteur de psychopathologie générale aux scores élevés est associé à une augmentation des idéations suicidaires 14. Les auteurs affirment que cette théorie a un impact sur la manière dont on va appréhender la thérapie avec le patient. Chez les patients qui ont subi des traumatismes parfois répétés, l’examen clinique relève de nombreux symptômes pouvant être associés à différents diagnostics comorbides amenant souvent un diagnostic de trouble de la personnalité. Ce courant de pensée dimensionnel permet de fixer des objectifs dans la psychothérapie où le patient est pris en charge de manière globale.

Conclusion

L’histoire de la psychiatrie nous montre qu’au fil du temps, différentes tentatives d’améliorer les soins se sont vues freinées par les différentes crises qui se sont succédées qu’elles soient socio-économiques, géopolitiques, ou pandémiques. Aujourd’hui, il y a encore beaucoup à faire pour déstigmatiser la maladie mentale afin qu’elle ne soit pas réduite à des notions de bien-être. La maladie mentale est bien présente et doit faire l’objet de recherches scientifiques de pointe pour continuer à améliorer la qualité des soins proposés.   

Bibliographie

1/ World Health Organization. (2021). Comprehensive mental health action plan 2013–2030. Geneva. Licence: CC BY-NC-SA 3.0 IGO

 

2/ Mistiaen, P., Cornelis, J., Detollenaere, J., Devriese, S. and Ricour, C. (2019). Organisation des soins de santé mentale pour les adultes en Belgique. Health Services Research (HSR). Bruxelles. Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). KCE Reports 318B. DOI: 10.57598/R318BS.

 

3/ Hermans, M.HH, de Witte, N. and Dom, G. (2012). The state of psychiatry in Belgium. Int Rev Psychiatry ; 24(4):286-94.

 

4/ Walker, C. et al. (2019). Observatoire de la santé et du Social ; Bruxelles

 

5/ Comité pour la nouvelle politique de santé mentale pour enfants et adolescentes (COMSMEA). (Mars 2022). Rapport du GT TCA auprès du COMSMEA

 

6/ Conseil des rectrices et recteurs francophones. (Août 2023). Mémorandum en perspective des élections législatives de 2024.

 

7/ Agence pour une vie de qualité. Retrived from www.aviq.be

 

8/ SPF Santé publique. Retrived from www.health.belgium.be

 

9/ Institut scientifique de santé publique. (2013). Enquête de santé 2013. Rapport 1 : santé et bien-être. Retrived from https://www.sciensano.be/fr/biblio/enquete-de-sante-2013-rapport-1-etat-de-sante-et-bien-etre

 

10/ Institute of Health Metrics and Evaluation. (2019). Global Health Data Exchange (GHDx). Retrived from https://vizhub.healthdata.org/gbd-results/

 

11/ World Health Organization. (2022). Mental Health and COVID-19: Early evidence of the pandemic’s impact. Geneva.

 

12/ Sciensano. (30/08/2023). Santé mentale : Comportements suicidaires, Health Status Report. Bruxelles, Belgique. Retrived from https://www.belgiqueenbonnesante.be/fr/etat-de-sante/sante-mentale/comportements-suicidaires 

 

13/ Caspi, A. and Moffitt, T. (2018). All for one and one for all. Mental disorders in one dimension. Am J Psychiatry. 2018 Sep 1;175(9):831-844. doi: 10.1176/appi.ajp.2018.17121383

 

14/Madison, A. et al. (2020). Toward precision therapeutics: general and specific factors differentiate symptom change in depressed adolescents. Journal of Child Psychology and Psychiatry61:9, pp 998–1008

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