Travail de fin d’études (TFE)
Face à l’essor des maladies chroniques et des alimentations non durables, l’introduction d’une éducation alimentaire préventive à l’école s’avère cruciale. Bien que les enseignants manquent de ressources et que les diététiciens soient rares en milieu scolaire, cette étude au Puy-de-Dôme démontre l’impact positif potentiel de leur présence.
Bryan Desmarlières, diététicien agréé, étudiant Master I en sciences de la Santé Publique et diététicien indépendant.
Le présent travail de fin d’étude a été réalisé sous la collaboration et/ou supervision :
> Docteur Anthony Fardet (INRAE)
> Docteur Claire Planchat (INRAE)
> Sophie Soëns (HEPH Condorcet Tournai, GDEA)
> Et, Catherine Hans (HEPH Condorcet Tournai, GDEA)
Mots clés : • Alimentation saine et durable • Collèges • Comportements alimentaires • Diététicien • Ecoles élémentaires
Face à la montée de l’obésité et des maladies chroniques, en particulier chez les enfants, il est urgent d’instaurer des comportements alimentaires sains dès le plus jeune âge14. Les écoles, formant les habitudes des enfants, sont cruciales dans cette mission3,11. Malgré des initiatives, l’éducation alimentaire y reste optionnelle, faute de ressources. Un enseignement complet encouragerait les élèves à comprendre l’impact alimentaire sur la santé et l’environnement7. Le rôle du diététicien pourrait être central dans cette transition scolaire vers une alimentation responsable.
Bien que les études sur la place des diététiciens dans les écoles soient rares, des défis tels que le manque de temps, la méconnaissance de la culture alimentaire des élèves et des difficultés de communication ont été identifiés10. Des études brésiliennes montrent le rôle crucial des diététiciens dans l’éducation alimentaire, améliorant la connaissance nutritionnelle des élèves et favorisant des partenariats dans le domaine1,4,9,13.
Une étude européenne révèle l’efficacité des programmes multi-composants pour encourager la consommation suffisante en fruits et légumes chez les élèves, tout en notant une lacune dans la formation des diététiciens sur les systèmes alimentaires durables8,12. Malgré les obstacles, les diététiciens montrent une volonté d’apprendre et de devenir acteurs de la transition verte. Il est donc vital de renforcer leur formation et de soutenir leur rôle central dans la promotion d’une alimentation saine. En France, une collaboration entre enseignants et professionnels de santé peut enrichir l’éducation nutritionnelle2.
Selon le rapport du Ministère de la Santé en France, la nutrition, bien que vitale, est souvent sous-estimée dans le système de santé6. Les diététiciens jouent un rôle fondamental dans l’éducation nutritionnelle, mais leur position et reconnaissance restent ambiguës. Malgré l’importance des enjeux de santé publique, la profession de diététicien souffre d’un manque de régulation et de reconnaissance uniformes. De plus, il manque des mesures systématiques pour l’éducation nutritionnelle dans les écoles, dépendant souvent des décisions locales.
Pour améliorer la situation, le rapport suggère de redéfinir les rôles des diététiciens selon les besoins de santé publique et de collaborer étroitement avec la médecine. En intégrant davantage les diététiciens dans les écoles et en renforçant leur formation, on pourrait mieux promouvoir une alimentation équilibrée et améliorer la santé nutritionnelle des enfants.
L’étude vise à déterminer la contribution possible des diététiciens dans les écoles pour encourager des habitudes alimentaires saines et écologiques. Cette question est cruciale en raison des défis alimentaires croissants pour les enfants et les familles, et des implications sur la santé et l’environnement. Ainsi, l’étude a utilisé une méthode empirico-inductive pour identifier les obstacles et les opportunités à cette contribution5.
L’approche empirico-inductive combine les données empiriques, issues d’observations, d’expériences et d’entretiens, avec une démarche inductive pour déduire des modèles ou théories holistiques. Des entretiens semi-directifs ont été menés avec différents acteurs du milieu alimentaire scolaire, complétés par des observations participatives et des questionnaires. L’analyse des données a permis d’identifier des tendances, thèmes et motifs, aboutissant à des conclusions et recommandations sur le rôle des diététiciens dans les écoles. Cette méthode est idéale pour étudier des sujets complexes tel que l’environnement alimentaire scolaire, car elle s’appuie sur les expériences et opinions des acteurs concernés5.
L’analyse des entretiens a suivi une méthodologie en plusieurs phases pour organiser et synthétiser efficacement les données. Après une transcription fidèle des entretiens pour conserver toutes les informations pertinentes, une première analyse a permis de dégager six grandes catégories, appelées « dimensions », reflétant les interactions entre les acteurs et les domaines d’intervention potentiels pour les diététiciens.
Chaque entretien a été examiné à travers le prisme de ces six dimensions, ce qui a aidé à condenser les idées principales tout en identifiant les obstacles et les leviers (actifs, non actifs ou potentiels) sur lesquels les diététiciens peuvent agir ou orienter les acteurs.
Pour chaque dimension, les principaux obstacles et leviers ont été modélisés, fournissant ainsi un aperçu complet des problèmes et des opportunités identifiés par les différents participants. Cette approche a également mis en lumière les points de convergence et de divergence entre les acteurs, permettant une compréhension plus profonde des rôles et des possibilités d’action des diététiciens dans les établissements scolaires.
La première dimension se concentre sur l’amélioration de la qualité globale de l’alimentation des enfants à l’école. Le rôle du diététicien est essentiel pour évaluer les apports nutritionnels et assurer une alimentation équilibrée et saine. Parmi les défis, il y a la réticence des enfants envers les plats végétariens et les légumineuses, ainsi que la consommation élevée d’aliments ultra-transformés (AUT). L’objectif est d’améliorer l’attrait des plats végétariens et de réduire la présence d’AUT dans les menus.
Des leviers actifs comme l’utilisation de produits frais, bruts et locaux, et la mise en place de « commissions menus » impliquant parents et direction d’école, contribuent déjà à cette amélioration. Ces initiatives renforcent la qualité nutritionnelle et environnementale des repas et favorisent l’engagement des différents acteurs. Les leviers suggérés incluent la promotion d’aliments de saison, la réduction de l’exposition aux pesticides, l’augmentation de la consommation de végétaux variés, et l’adoption d’un régime alimentaire équilibré, en quantité adaptée, tout en minimisant l’impact environnemental de l’alimentation.
Cette dimension se concentre sur l’identification et l’influence des facteurs qui affectent les comportements alimentaires des enfants, tels que les influences culturelles, sociales et environnementales.
Obstacles identifiés :
Rôle du diététicien : La présence d’un diététicien sur le terrain, travaillant en collaboration avec divers spécialistes, peut renforcer une approche holistique et contextualisée de l’éducation alimentaire. Intégrer le diététicien à temps plein dans les écoles pourrait offrir un encadrement et un suivi personnalisé, améliorant ainsi l’éducation et les choix alimentaires des élèves.
Cette dimension explore l’importance des liens et de la collaboration entre les différentes entités impliquées dans la préparation des repas scolaires: cuisines scolaires, cuisines centrales, direction des écoles, mairies et parents. La communication et la coordination entre ces acteurs sont essentielles pour garantir des repas de qualité aux élèves.
Échelle micro : Il est vital de renforcer les liens entre les différentes parties pour améliorer la qualité des repas et le service. Une meilleure communication, la présence active des diététiciens et la valorisation du personnel de restauration sont des facteurs clés pour une collaboration efficace.
Échelle méso : Le personnel de restauration scolaire se sent souvent isolé et non valorisé, ce qui peut affecter leur motivation et la qualité de leur travail. Le manque de personnel durant les repas et le manque de reconnaissance de la réalité du terrain par la direction et les élus sont des problèmes notables. Les diététiciens des cuisines centrales publiques sont rarement présents sur le terrain, ce qui limite leur compréhension et résolution des problèmes pratiques. À l’inverse, en cuisine centrale privée, ils forment le personnel aux problématiques de remises en température, améliorant ainsi la qualité et la sécurité des repas.
Côté cuisiniers : Un manque de motivation peut se traduire par une baisse de la qualité des repas. Lorsque les repas sont préparés sur place, une meilleure collaboration entre la direction et la cuisine scolaire est observée, favorisant la communication et, par conséquent, la qualité des repas, le service et la réduction du gaspillage alimentaire.
La dimension souligne l’importance d’une communication efficace et d’une reconnaissance mutuelle entre les différents acteurs de l’écosystème alimentaire scolaire pour optimiser la qualité des repas et l’expérience alimentaire des enfants.
Cette dimension traite de la contribution des diététiciens à la réduction du gaspillage alimentaire, une question environnementale, économique et éthique majeure dans les écoles.
Problématiques de gaspillage : Les repas préparés en cuisine centrale publique et servis dans les cantines scolaires sont souvent associés à un gaspillage significatif, en moyenne 72 g par enfant (contre une moyenne nationale d’environ 80 g). Ce gaspillage est dû à plusieurs facteurs, tels que l’impopularité des plats, des quantités excessives, des erreurs de recettes ou une surproduction. Toutefois, il a été observé que le gaspillage diminue lorsque les repas sont davantage « faits maison ».
Leviers actifs : Pour lutter contre le gaspillage, plusieurs initiatives sont en cours :
Améliorations futures : Les cuisiniers sont ouverts à l’idée de retravailler les produits déjà préparés pour réduire le gaspillage en proposant des recettes plus attrayantes pour les enfants. Une formation renforcée des diététiciens sur ces enjeux pourrait aider à élaborer des stratégies efficaces pour minimiser le gaspillage et sensibiliser tous les acteurs du système de restauration scolaire à cette importante problématique.
Cette dimension souligne l’importance du contexte social et de l’individualisation dans les choix et comportements alimentaires des enfants. Elle met en lumière comment les évolutions des modes de vie et des attentes des familles influencent l’alimentation des enfants et, inversement, comment ces choix alimentaires influencent l’offre alimentaire. Une approche globale et locale est essentielle pour concevoir des interventions efficaces dans les écoles.
Divergences entre les zones urbaines et rurales :
Influences de l’environnement immédiat :
Manque d’éducation alimentaire : Le personnel municipal, y compris les agents de restauration et les animateurs, n’instruit souvent pas suffisamment les enfants sur le contenu et l’origine de leur nourriture, ni ne les sensibilise à la qualité et à la provenance des aliments. Des initiatives éducatives visant à renforcer la capacité des enfants à faire des choix alimentaires éclairés seraient bénéfiques pour encourager de meilleures habitudes alimentaires. Cela met en évidence l’importance de l’encadrement et du soutien des enfants dès leur plus jeune âge pour promouvoir une alimentation saine et équilibrée.
Cette dimension examine l’impact des politiques publiques locales et nationales sur la restauration collective et la santé, et comment elles influencent l’alimentation dans les écoles.
Influence des décideurs politiques :
Rôle potentiel des diététiciens : Les diététiciens pourraient agir en tant que facilitateurs dans ce processus, mais leur embauche est souvent limitée par des contraintes budgétaires. Sensibiliser les décideurs politiques à l’importance des diététiciens et de leurs compétences est crucial pour améliorer la qualité de l’alimentation et la santé des enfants.
Cette étude souligne l’importance cruciale d’intégrer des diététiciens dans les écoles pour promouvoir une alimentation saine et durable. Elle met en avant la nécessité d’une approche globale et coopérative, impliquant tous les acteurs du milieu scolaire, dans la promotion de la santé et du bien-être des élèves. Le diététicien, en tant qu’expert, joue un rôle clé dans la mise à jour et la diffusion des connaissances en nutrition, collaborant avec d’autres professionnels éducatifs pour adapter les pratiques alimentaires.
Bien que cette étude exploratoire ait certaines limites en termes de représentativité, elle fournit des insights précieux sur le rôle du diététicien dans la transition vers des comportements alimentaires plus sains et durables dans les écoles. Les résultats obtenus posent les bases pour formuler des recommandations et guider les recherches futures dans ce domaine, ainsi que pour influencer les politiques et actions futures visant à améliorer la santé des élèves. Une étude sur l’analyse des coûts à long terme de l’intégration de diététiciens dans les écoles pourrait apporter des perspectives supplémentaires.
Des études futures pourraient évaluer l’impact à long terme des diététiciens sur les choix alimentaires, la santé et les comportements durables des élèves, et comparer les résultats entre différents types d’établissements scolaires. Les chercheurs pourraient aussi étudier comment les interventions diététiques influencent les attitudes et les comportements des élèves en matière d’alimentation et de durabilité.
Bibliographie
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