Travail de fin d’études (TFE) – Évaluation des connaissances de la population domiciliée en Belgique en termes d’aliments ultra-transformés et élaboration d’outils sur ceux-ci.
La production et la consommation d’aliments ultra-transformés ont augmentés parallèlement à l’accroissement mondial de la prévalence de l’obésité et des maladies chroniques. Vu les effets néfastes que ces aliments ont sur la santé et l’environnement, il a été question de s’intéresser aux connaissances qu’ont les individus domiciliés en Belgique en la matière et de les améliorer.
Fabio CREA, diététicien-nutritionniste agréé et employé à l’Hôpital Gériatrique Scheutbos (Silva-medical). https://fabio-crea.be
Le présent travail de fin d’études a été réalisé en étroite collaboration avec les promoteurs :
> Docteur Anthony Fardet (INRAE),
> Docteur Fabienne Depoortere (HELDB)
> et Arthur Delcourt (UPDLF, GDEA, Nutrition&Sport&Health).
Si la révolution industrielle et le développement économique semblaient annoncer une ère de progrès et de meilleure hygiène de vie, force est de constater, qu’aujourd’hui, les produits venant de l’industrie alimentaire sont loin d’être une source alimentaire saine, fiable, durable et éthique. En effet, sous l’impulsion de multiples facteurs, tels que la commercialisation et l’arrivée des hypermarchés, les aliments sont désormais victimes de mutations structurelles qui les éloignent davantage de leurs compositions et matrices originelles. Par ailleurs, certains procédés technologiques actuels donnent lieu à des aliments ultra-transformés (AUTs).
Les AUTs sont des préparations alimentaires industrielles fabriquées à partir de substances dérivées d’autres aliments, dont la structure a été modifiée. Il s’agit de produits transformés par de multiples processus physiques, biologiques ou chimiques qui sont constitués de peu ou pas d’ingrédients frais. Ils contiennent généralement des substances cosmétiques synthétisées en laboratoire et des additifs (exhausteurs de goût, colorants, arômes, édulcorants, stabilisants, etc.) permettant d’améliorer l’aspect, la couleur, le goût, la texture ou encore l’arôme du produit.
Au cours des dernières décennies, l’intensité des traitements technologiques des aliments a augmenté, passant de la simple cuisson à l’eau bouillante ou à la vapeur à la cuisson-extrusion à hautes pressions et températures. Au fil du temps, les industries ont commencé à fractionner les aliments et à utiliser ces fractions pour fabriquer de nouveaux produits lors de l’assemblage. En effet, l’industriel extrait les nutriments constitutifs de l’aliment par un processus appelé le « cracking » ou le « fractionnement alimentaire ». L’ultra-transformation alimentaire est donc aussi le résultat de la fragmentation d’un aliment brut, soit la destruction de sa matrice par des procédés industriels mécaniques, enzymatiques et/ou chimiques.
Le fractionnement (cracking) est un procédé industriel qui permet de fractionner un produit brut, entier. Les méthodes pour isoler les briques élémentaires de l’aliment consistent en l’extraction par des solvants, la purification, les hydrolyses chimiques et/ou enzymatiques souvent à hautes températures. Ces procédés d’ultra-transformation causent une dégradation extrême de la matrice d’un aliment.
L’effet qu’un aliment a sur la santé ne dépend pas uniquement de la quantité de nutriments qu’il contient. Il dépend également de la matrice de l’aliment. La matrice est la « structure » de l’aliment et l’ensemble des interactions entre ses constituants. Deux aliments ayant une quantité de calories et de nutriments identique, avec une matrice différente, n’ont donc pas les mêmes effets sur l’organisme. Les maladies chroniques sont d’abord associées à la dégradation et à l’artificialisation des matrices alimentaires plutôt qu’à la composition des aliments.
Les ingrédients caractéristiques des aliments ultra-transformés peuvent être divisés en substances alimentaires d’usage culinaire nul ou rare et en classes d’additifs dit « cosmétiques ». Les additifs présents dans les AUTs sont dit « cosmétiques » car leur fonction est de modifier l’apparence de l’aliment. En effet, les additifs cosmétiques ont pour but de masquer les effets indésirables créés par les ingrédients, les procédés et les emballages, d’exacerber les propriétés sensorielles, d’imiter les vrais aliments et de rendre le produit final attrayant à la vue, au goût, à l’odorat et au toucher.
Créée en 2009 par le chercheur brésilien Carlos Monteiro, NOVA, qui n’est pas un acronyme, est une classification empirico-inductive qui arrange tous les aliments et produits alimentaires en quatre grands groupes en fonction de l’étendue de la transformation industrielle qu’ils subissent. Elle prend également en compte les méthodes chimiques, biologiques et physiques ainsi que les additifs utilisés au cours du processus de fabrication des aliments. La classification NOVA a fait l’objet de discussions et de critiques car celle-ci est incomplète. En effet, NOVA ne se base pas sur des aspects physiques/chimiques distincts et sans équivoque des aliments. En d’autres termes, le quatrième groupe de NOVA des AUTs regroupe trop d’aliments hétérogènes, notamment en termes de composition. NOVA ne comprend pas une liste de tous les composés qui permettrait d’identifier un aliment comme étant ultra-transformé. De plus, l’ultra-transformation concerne la composition des aliments, mais également la matrice alimentaire dénaturée par des modifications industrielles.
Il est fondamental de ne pas faire l’amalgame entre les AUTs et les aliments uniquement transformés. Dans une certaine mesure, presque tous les aliments peuvent être « transformés », ne serait-ce que par conservation. Il n’est pas nécessaire d’évincer les aliments uniquement « transformés » étant donné que diverses méthodes de conservation inoffensives et certains processus, tels que la fermentation non-alcoolique, améliorent la qualité des aliments et sont bénéfiques pour la santé. De plus, l’évincement des aliments transformés du régime alimentaire induirait une diversité nettement moindre dans le choix des aliments et une consommation d’aliments moins sûrs pour la santé.
La classification Siga, qui découle directement de la classification NOVA, a été développée par Christodoulou Aris, pour informer les consommateurs, aider les institutions publiques et accompagner les industriels et distributeurs vers une offre en produits moins transformés sans stigmatiser certaines catégories d’aliments. Siga a été développée en combinant les quatre groupes holistiques NOVA avec quatre nouveaux sous-groupes réductionnistes, considérant le degré de transformation, l’impact de la transformation sur la matrice aliment/ingrédient, les teneurs en sel, sucre et graisse ajoutés, la nature et le nombre de marqueurs d’ultra-transformation (MUT) et les niveaux d’additifs à risque.
Contrairement aux croyances répandues, les AUTs ne se résument pas aux aliments associés à la malbouffe (par exemple : les sodas, les fast-foods, les pâtisseries industrielles, etc). En réalité, ils se trouvent aussi dans les rayons dits « végétariens », « sans gluten », « bio », « diététiques », « céréales petit-déjeuner », « produits alimentaires destinés à l’alimentation des nourrissons et jeunes enfants », etc.
Afin que l’acheteur puisse limiter sa consommation en AUTs, deux moyens pratiques existent pour les identifier :
Le Nutri-score est centré sur la composition en quelques nutriments et ne prend pas encore en compte le degré de transformation des aliments ni l’effet matrice. Des allégations nutritionnelles peuvent se trouver également sur les emballages de ces AUTs. Étant légiférées, ces allégations sont correctes, mais ont tendance à faire croire que l’entièreté de l’aliment est un plus pour la santé, ce qui n’est pas toujours le cas. Lorsque, sur un produit, une allégation nutritionnelle indique « source de… », « réduit en… », etc., cette allégation met l’accent sur un nutriment, c’est-à-dire sur une partie, souvent minime, de l’ensemble du produit.
L’intérêt des scientifiques pour le sujet des AUTs ne cesse de croître, car plusieurs caractéristiques de ces aliments, outre une qualité nutritionnelle moindre, sont supposées avoir des effets néfastes sur la santé. De ce fait, une multitude d’études de cohortes prospectives a démontré qu’un apport élevé en AUTs était associé à un risque plus élevé de surpoids et d’obésité, de maladies cardiovasculaires, de syndrome métabolique, d’hypertension artérielle, de diabète de type 2, de cancers, de syndrome inflammatoire de l’intestin, de déclin de la fonction rénale, de dépression et de mortalité précoce toutes causes confondues.
La diffusion d’AUTs sur la planète est associée à la dégradation de la santé, mais également à celle de l’environnement. En effet, les processus de production des ingrédients et des additifs contenus dans les AUTs sont associés à des systèmes alimentaires très intensifs et très polluants, donc non durables. L’impact environnemental croissant de ces aliments est également dû à la quantité d’emballages requis par ce système d’alimentation, où les portions sont souvent individuelles.
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