Nous développerons l’importance de la nutrition dans la maladie de Crohn dès le diagnostique.
Le régime d’exclusion de la maladie de Crohn (Crohn’s Disease Exclusiv Diet – CDED) élimine les aliments à l’origine de la pathogenèse et inclut les aliments aidant à rétablir la présence de bactéries bénéfiques au microbiote intestinal.
Marie Laura Godet, gastropédiatre conventionnée, CHC MontLégia
Bénédicte Gueuffen, diététicienne pédiatrique conventionnée, CHC MontLégia
Durant les 50 dernières années, le nombre d’enfants atteints de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) n’a cessé d’augmenter et notamment dans les pays « nouvellement » industrialisés. Cette augmentation se marque principalement chez les patients de plus de 10 ans avec une incidence relativement stable chez les plus jeunes. (1) Ceci illustre l’importance du rôle environnemental dans le développement de la maladie chez les plus âgés, là où la génétique prédomine chez les plus jeunes (principalement moins de 6 ans).
Les MICI sont des maladies dues à une réponse immunitaire anormale chez des sujets génétiquement prédisposés.
Les MICI regroupent 3 types de maladies :
Nous parlerons dans cet article uniquement de la MC étant donné que, jusqu’à présent, c’est dans cette pathologie que le régime a montré une efficacité significative.
Les symptômes chez les enfants peuvent être très variés : douleurs abdominales, diarrhées, selles nocturnes, constipation, rectorragies, perte de poids, cassure staturale. Notons également une possible atteinte d’autres systèmes : fatigue, uvéite, érythème noueux, psoriasis.
La mise au point diagnostique repose sur plusieurs éléments : la biologie sanguine inflammatoire, une calprotectine fécale positive, une imagerie (échographie abdominale, entéro-IRM) montrant une inflammation du tube digestif et enfin une gastroscopie et colonoscopie montrant une atteinte de la muqueuse (érosions, ulcères, saignements) avec une confirmation anatomopathologique.
Différents scores existent pour évaluer en même temps l’atteinte clinique, biologie et muqueuse.
Dans notre population pédiatrique, il est primordial de dépister tôt cette maladie afin d’éviter les complications telles que la cassure staturo-pondérale, le retard pubertaire et toutes les conséquences psycho-sociales qui peuvent en découler.
Les objectifs de traitements sont donc multiples : la résolution des symptômes, la mise et le maintien en rémission prolongée, préserver la croissance staturo-pondérale en assurant un état nutritionnel correct, éviter les symptômes invalidants et chroniques, éviter les séquelles et interventions chirurgicales ou optimiser le temps pour la chirurgie et surtout le maintien voire l’amélioration de la qualité de vie.
En 2021, les sociétés ECCO (organisation européenne des maladies de Crohn et des colites) et ESPGHAN (société européenne de gastro-entérologie, hépatologie et nutrition pédiatrique) ont publié les nouvelles recommandations pour le traitement de la maladie de Crohn. Celui-ci repose sur des traitements tels que les anti-inflammatoires, les biologiques mais également sur la nutrition.
En effet, dans les formes légères à modérées il est recommandé de débuter par une alimentation entérale exclusive (EEN) pour la mise en rémission. (5) Elle a montré une efficacité comparable voire supérieure aux corticoïdes en ce qui concerne la résolution des symptômes, la normalisation biologique mais également le bénéfice nutritionnel et donc la croissance. (6) (7) (8)
Concernant le régime d’exclusion avec une alimentation entérale partielle, l’équipe de Levine et al a démontré également une certaine efficacité via une étude prospective. Celle-ci reprend 74 patients pédiatriques qui ont été randomisés en 2 groupes : le premier avec 6 semaines d’alimentation entérale exclusive (EEN) suivies de 6 semaines avec une alimentation entérale partielle (PEN – 25%) accompagnée d’un régime libre. Le deuxième groupe était mis sous régime d’exclusion (CDED) avec 50 % de PEN suivi de 6 semaines sous CDED 75% et PEN 25%.
L’étude a montré à 6 semaines, une efficacité similaire en termes de score d’activité de la maladie, d’inflammation similaire entre les 2 groupes et de compliance. Par contre à 12 semaines, l’inflammation ré-augmente dans le premier groupe comparativement au second. Ce qui démontre l’importance de maintenir un régime adapté dans ces pathologies. (9)
Les différentes sociétés savantes recommandent donc une prise en charge diététique dans ces pathologies inflammatoires. (10) (11)
Le diététicien a un rôle essentiel dans la prise en charge des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin.
Son rôle consiste à enrayer la dénutrition et à encourager le patient à suivre les recommandations nutritionnelles afin d’entrer en rémission.
Cette fonction demande une disponibilité, un accompagnement bienveillant ainsi qu’une innovation dans la création de menus et de recettes pour éviter la lassitude et l’abandon.
Le régime PEN + CDED permet d’induire et maintenir une rémission dans 80% des cas et permet une reprise de la croissance staturo-pondérale.
Ce régime se fait en 3 phases après la nutrition entérale exclusive, celui que nous suivons est le Modulife®.
Les 2 premières phases durent chacune 6 semaines et sont indispensables pour obtenir une rémission. La troisième phase est le régime de croisière qui a été instauré pour introduire la notion de plaisir, indispensable au patient !
La première phase consiste à apporter 50 % des apports sous forme d’une alimentation orale ou entérale (Modulen®) et 50 % CDED.
La phase 1 comporte 5 aliments obligatoires (le blanc de poulet, 2 œufs, 2 pommes de terre épluchées et refroidies, 1 pomme pelée et 2 bananes).
Le but étant de fournir d’une part des protéines de haute qualité, essentielles à la renutrition du patient et d’autre part, des amidons résistants et de la pectine qui stimulent la croissance des bactéries bénéfiques du microbiote. Celles-ci à leur tour, lors de la fermentation de ces glucides complexes, produiront des acides gras à courtes chaînes qui ont un rôle majeur dans la rémission.
En effet, les acides gras à chaînes courtes sont la source principale d’énergie des colonocytes, ils modulent la sécrétion du mucus ainsi que l’immunité et ils régulent le pH luminal en faveur des bactéries bénéfiques au microbiote. (12)
La phase 1 comporte également une liste d’aliments autorisés comme du poisson blanc : une fois par semaine, du riz ainsi que sa farine et des nouilles choisies sans additifs ; 5 fraises, 1 avocat à consommer tout au long de la journée pour la qualité de ses graisses, 1 tranche de melon, 2 tomates, 3 feuilles de salade, 1 demi-tasse de feuilles d’épinards crus, 1 carotte, 2 concombres épluchés et 1 verre de jus d’orange pressé.
Ces aliments permettent de varier l’alimentation et d’introduire des végétaux crus, riches en fibres solubles sans risque de sténose. À ces aliments s’ajoutent de l’huile d’olive et de colza, des épices, et des condiments pour donner de la saveur aux plats, indispensable au bon déroulement du CDED.
Les autres aliments sont interdits particulièrement les produits laitiers, les céréales contenant du gluten, les autres viandes, la levure, les aliments transformés trop gras, trop sucrés, contenant des additifs comme les émulsifiants, la carraghénane, les sulfites, les dextrines maltose.
La phase 2 consiste à apporter 25 % des apports sous forme d’alimentation entérale/orale (Modulen®) et 75 % CDED. Les 5 aliments obligatoires sont toujours bien présents dans la phase 2.
La liste des fruits et des légumes s’allonge de semaine en semaine.
A la liste des aliments protéinés, s’ajoute 2 fois par semaine du thon en boîte à l’huile et si le patient le désire vraiment une portion de viande rouge.
A la liste des féculents, s’ajoute 1 tranche de pain aux céréales contenant du gluten mais préparé maison sans levure fraîche, 1/2 tasse de lentilles ou autres légumineuses, 1/2 à 1 tasse de quinoa en fonction du risque de sténose, 1 tasse de flocons d’avoine ; s’ajoute également le maïs et sa farine en semaine 10. Quelques amandes ou noix peuvent être intégrées.
La phase 3 comprend 5 jours consécutifs de phase 2 avec un élargissement du régime. Tous les morceaux du poulet sauf les abats et les ailes, une portion de yaourt et d’autres produits de la mer comme des crustacés frais s’ajoutent à la liste des protéines. A la liste des féculents, s’ajoutent 2 tranches de pain aux céréales ou une portion de pâtes en alternance.
La liste des fruits et des légumes s’allonge pour ne garder comme aliments interdits que : le kaki, la grenade, la figue de barbarie, le fruit de la passion, le céleri en branche et le chou frisé en grande quantité.
Les 2 autres jours, le patient pourra consommer 4 repas en toute liberté pour autant que ce soit cuisiné maison. Par exemple, il pourra consommer des céréales, un hamburger maison, une pizza, du fromage, du lait, du saumon, un dessert (du chocolat, un gâteau ou un biscuit), une glace dans une proportion toujours « raisonnable ». Un repas au restaurant correspond à une journée de liberté. Il choisira toutefois des aliments non transformés.
L’idéal, serait que cette phase dure le plus longtemps possible et pour se faire le patient doit être soutenu et encouragé.
Si toutefois, le patient décide de ne plus prendre sa nutrition orale/entérale, il faudra veiller aux apports en calcium, voire les supplémenter.
Si malheureusement, il décide de ne plus suivre le Modulife®, il faudra toujours l’encourager à suivre le Healthy Diet.
Le Healthy Diet consiste à consommer des aliments frais non transformés, avec suffisamment de végétaux (légumes et fruits), des fruits oléagineux, de graines et de légumes secs. Les poissons variés, les mollusques, les crustacés et les volailles sont à privilégier à toutes les autres viandes surtout celles qui ont été transformées. La viande rouge est à limiter à 1 fois par semaine.
Il s’agit également de cuisiner maison en menant des cuissons saines (vapeur, au four, en papillote) et d’utiliser des huiles d’assaisonnement de qualité comme l’huile d’olive, de noix, de colza.
Si ce sujet vous intéresse, une formation est disponible sur www.modulifexpert.com
Une plateforme dédiée aux patients a été conçue pour améliorer l’observance du traitement et l’adhésion thérapeutique sur www.mymodulife.fr.
Références :
(1) Ghione S et al. (2016) Augmentation de l’incidence de la maladie de Crohn et de la recto-colite hémorragique chez l’adolescent sur une période de 21 ans. Archives de pédiatries, vol 23; 536-537
(2) Hebuterne X. (2019) Nutr Clin Metab ;33(2):126-30
(3) Narula N et al. (2021) Association of ultra-processed food intake with risk of inflammatory bowel disease: prospective cohort study. BMJ.
(4) Levine et al. (2018) Evolving role of diet in the pathogenesis and treatment of inflammatory bowel diseases. Gut; 67: 1726-1738
(5) Van Rheenen P.F et al. (2021) The medical management of Paediatric Crohn’s disease: an ECCO-ESPGHAN Guideline update.
(6) Pigneur B, et al. (2019) Mucosal Healing and Bacterial Composition in Response to Enteral Nutrition Vs Steroid-based Induction Therapy – A randomised Prospective Clinical Trial in Children With Crohn’s Disease. J Crohns Colitis; 13: 846-55
(7) Borrelli O, et al. Polymeric diet alone versus corticosteroids in the treatment of active pediatric Crohn’s disease: a randomized controlled open-label trial. (2006) Clin Gastro-enterol Hepatol; 4: 744-53
(8) Hu D et al. (2014) Exclusive enteral nutritional therapy can relieve inflammatory bowel stricture in Crohn’s disease. J Clin Gastroenterol; 48: 790-5
(9) Levine A et al. (2019) Crohn’s disease exclusion diet plus partial enteral nutrition induces sustained remission in a randomized controlled trial. Gastroenterology., doi: https://doi.org/10.1053/j.gastro.2019.04.021.
(10) Levine A et al. Dietery guidance from the international organization for the study if inflammatory bowel diseases. (2020) Clinical Gastroenterology and Hepatology. Vol 18; 1381-1392.
(11) Bischoff SC et al. (2023) ESPEN guideline on Clinical Nutrition in inflammatory bowel disease. Clinical Nutrition. 42: 352-379
(12) Canani R.B et al. (2011) Effets bénéfiques potentiels du butyrate dans les maladies intestinales et extra-intestinales. Monde J Gastroenterol. 17(12) : 1519-1528